Au nom du sauvage
Quatre historiens, une iconographie originale et un panorama universel qui plonge aussi bien dans le temps que dans l’espace : l’histoire des luttes environnementales ne pouvait pas être plus passionnante !
Avec ses quelques 300 pages, voilà un ouvrage qui pèse son poids, au sens propre comme au figuré. Ce récit dense et complet nous étonne presque à chaque page, car il replace nos enjeux modernes actuels dans une continuité troublante, où l’on s’aperçoit que l’écologie n’est pas une préoccupation nouvelle, malgré les récits qui ont toujours eu intérêt à nous le faire croire.
À rebours d’un « grand récit de la modernité » relevant largement du mythe, ce texte rappelle, documents richement illustrés à l’appui, que la foi dans le progrès « commencée avec la révolution industrielle et nourrie par les découvertes scientifiques » n’a pas convaincu tout le monde, et ceux qui s’y sont opposés ont semé « autant de petits cailloux sur la route de la civilisation techno-industrielle ».
Parmi les nombreux épisodes méconnus que met en lumière le livre, on peut citer la Guerre des Demoiselles qui, au XIXè siècle, visait à défendre les droits d’usage dans les forêts d’Ariège, faisant écho à la résistance anglaise contre la pratique des enclosures au XVIIIe siècle ; les manifestations contre la pollution minière, lourdement réprimées en Espagne en 1888, préfigurent celles des japonais contaminés au mercure à Minamata, après la Seconde Guerre mondiale.
Paysans, ouvriers, montagnards, citadins, artistes, activistes ont mis leur énergie dans la préservation de ce qui leur était cher : modes de vie équilibrés ou beauté des paysages. Quelques intellectuels ont marqué leur époque. Dans les années 1930, la pensée de Jacques Ellul s’articule par exemple à celle de Bernard Charbonneau : pour eux, la nature est indispensable à la liberté des hommes. Ce sont les prémisses de l’écologie politique.
Des plus fameuses mobilisations contre la prédation, l’empoisonnement, le ravage des écosystèmes à travers la planète, jusqu’aux mouvements moins connus, se dessine ainsi un tableau dynamique, sinon victorieux. Car face aux intérêts du marché et à l’extractivisme colonial, bien souvent les luttes ne sont pas suffisantes.
Le livre, toutefois, donne des raisons de les poursuivre coûte que coûte. Et ce, sans idéalisation : il ne gomme pas les aspects rances de certaines tendances, notamment nationalistes, instrumentalisant la préservation de l’environnement pour mieux exclure l’étranger.
Un travail d’historiens qui se double d’un véritable talent de vulgarisation rend cette somme de connaissances accessible pour tous et aussi intéressante que primordiale pour sa culture personnelle.
Conseil de lecture de Gaëlle Cloarec et Damien Saraceni
Décembre 2022
Une histoire des luttes pour l’environnement, 18e-20e trois siècles de débats et de combats
Anne-Claude Ambroise-Rendu, Steve Hagimont, Charles-François Mathis, Alexis Vrignon
Éditions Textuel, 45 €