Le dernier ouvrage du paléo-climatologue Michel Magny embrasse les origines et l’évolution de la vie sur Terre pour mieux mettre en perspective le destin de l’humanité.
Directeur de recherche émérite du CNRS, dans le laboratoire Chrono-environnement de Besançon, Michel Magny vient de publier Retour aux communs, aux éditions Le Pommier. Un essai dense et cependant aussi clair qu’agréable à lire, qui réussit le tour de force, en quelques 300 pages, de s’appuyer sur la très longue durée pour éclairer les enjeux brûlants de notre siècle. Dans les deux premiers chapitres, l’auteur rappelle une double évidence, hélas trop souvent perdue de vue : la société est « le commun originel qui nous fait véritablement humains, hors duquel nous perdons l’essence même de notre humanité », de même que nous faisons « partie intégrante de la grande communauté biotique qui rassemble tous les organismes vivants ». Il questionne notre statut d’espèce au sein de l’ensemble du vivant, « l’extraordinaire exubérance des formes de vie » que connaît notre planète, à « l’histoire profondément marquée par la contingence ». En s’appuyant sur les données accumulées par la paléoanthropologie, la préhistoire, l’archéologie, la biologie ou la primatologie, Michel Magny met en perspective le destin de l’Homme, cet animal politique selon Aristote, car doté du logos, la parole. Pour les non-spécialistes, c’est un régal de le suivre dans les méandres de l’hominisation, le long processus qui nous conduisit à cette faculté.
La solidarité, moteur et espoir
Le chercheur s’appuie sur des siècles de réflexion intellectuelle et de savoir scientifique, mettant en lumière les voies méconnues, les impasses, les instrumentalisations pétries de mauvaise foi, les intuitions de génie. Il évoque le second opus majeur de Charles Darwin, pourtant méconnu, La filiation de l’homme, paru en 1871. Le savant anglais y démontrait comment,
« dans l’émergence des sociétés et de la morale, la sélection naturelle ne favorise plus les individus les plus adaptés mais les groupes les plus solidaires ».
Charles Darwin
Sans ce complément indispensable à son livre le plus fameux, L’origine des espèces, il a été plus facile aux tenants du darwinisme social de se convaincre que l’homme n’est qu’un loup pour l’homme, que le plus fort gagne… Une théorie parmi toutes celles qui ont sous-tendu la marchandisation du monde et le franchissement, les unes après les autres, des limites planétaires, au point de menacer la survie de tous.
Michel Magny reprend les constats du Rapport Meadows, du Giec ou de l’UICN sur le chaos climatique, la chute de la biodiversité, la pollution, l’artificialisation des terres. Il y ajoute les réflexions apportées par les sciences humaines sur le lien entre consommation des ressources naturelles, colonisation, inégalités sociales, exploitation des femmes.
« La domination de la nature semble bien aller de pair avec celle des hommes dont les sociétés tendent à se verticaliser. »
Mais l’ouvrage ne s’arrête pas aux constats. Son auteur, avec Aimé Césaire et Hannah Arendt, voit une issue hors de l’effondrement moral de la rationalité économique, déconnectée du réel. Il suggère une échappée en forme de « transition copernicienne » : « renverser la hiérarchie des trois sphères environnementale, économique et sociale telle que la pose l’économie libérale », accorder « le primat à la nature, c’est à dire à l’écosystème terrestre, qui inclut à son tour la société, incluant elle-même l’économie ».
Pour cela, il faudrait selon lui dépasser le concept flou de développement durable, et revivifier celui des Communs, une gestion de notre lieu de vie qui mise sur l’intelligence collective et prenne en compte les autres espèces.
Gaëlle Cloarec, le 10 octobre 2022
Retour aux communs, Pour une transition copernicienne, de Michel Magny