À travers la planète, un courant visant à doter les espaces naturels de droits juridiques se renforce. Le bassin versant de la Loire, par exemple, et pourquoi pas une forêt ?
Entre l’automne 2019 et le printemps 2021, une expérience inédite a eu lieu autour du fleuve considéré (par les tour-opérateurs) comme « le plus sauvage d’Europe » : la Loire. Un écosystème pourtant très anthropisé, qui ne devrait surtout pas l’être plus, ainsi que le constate l’archéologue et plongeuse Virginie Serna. Avec d’autres intervenants, chercheurs dans de multiples disciplines, paysagistes ou artistes, elle a participé à une série d’auditions visant la transformation juridique et politique du bassin versant ligérien, depuis sa source au Mont-Gerbier-de-Joncs jusqu’à l’océan Atlantique. L’objectif étant de donner vie à une nouvelle fiction performative (un processus qui permet, en nommant et détaillant un futur désirable, de lui donner une existence dans les représentations).
Et si, comme une entreprise a une personnalité morale, comme les États ont une représentativité, on dotait les espaces naturels -rivières, forêts, mangroves…- de droits ? De la capacité à se défendre, en justice, contre les pollutions ou les atteintes à la biodiversité ? Pour le juriste Jacques Leroy, l’intérêt général bénéficierait grandement d’une protection renforcée des milieux. La suggestion de sa consœur Valérie Cabanes serait de prendre désormais des décisions en évaluant leurs conséquences sur sept générations, à l’instar de certains peuples autochtones à travers le monde. Cela éviterait au court-termisme des profits d’avoir le dernier mot… La France se déconsidérerait à camper sur des positions conservatrices au niveau juridique. Il y a de tristes précédents ! Rappelons que la Nouvelle Zélande a reconnu le droit de vote aux femmes à partir de 1893, alors que les françaises ont dû attendre 1945.
Une remarque de forme sur cet ouvrage collectif : épais et copieux, il se lit pourtant aisément. Le travail de maquette, original, n’y est pas pour rien. L’influence de l’écrivain Camille de Toledo, qui coordonne toutes les contributions, corpus constitué au fil des auditions publiques du « Parlement de Loire », non plus ; l’ensemble a une tonalité littéraire indéniable. Et démontre à quel point il peut être intéressant de nouer un dialogue entre habitants, scientifiques, artistes, responsables de collectivités et acteurs de territoire pour inventer des modes de vie plus équilibrés, respectueux des autres espèces.
GAËLLE CLOAREC
Le fleuve qui voulait écrire
Les auditions du Parlement de Loire
Coordonné par Camille de Toledo avec les contributions de Frédérique Aït-Touati, Bruno Latour, Virginie Serna, Bruno Marmiroli, Jacques Leroy, Jean-Pierre Marguénaud, Catherine Larrère, Catherine Boisneau, Valérie Cabanes, Matthieu Duperrex, Gabrielle Bouleau, Sacha Bourgeois-Gironde, Marie-Angèle Hermitte…
Manuella Éditions / Les Liens qui Libèrent / POLAU-pôle arts & urbanisme
23 €