Grâce à lui, les écosystèmes forestiers se portent mieux : vive le pic noir !
« Trrrrrrr… » ce caractéristique bruit saccadé qui résonne au fond des bois, mais bien sûr, c’est un pic ! Un bel oiseau tout de noir vêtu, sauf une tache rouge vif – sur le front et la nuque pour le mâle et sur la nuque seulement pour la femelle. Avec sa taille conséquente (de 45 à 55 cm pour 65 à 85 cm d’envergure), Dryocopus martius, le pic noir, est le plus grand représentant de sa famille, les Picidés, en Europe. Communément appelé Schwartzspecht par les germanophones, Black woodpecker chez les anglo-saxons, il porte un nom scientifique venu du grec :« druos », qui signifie « arbre », et « kopos », « marteler, taper ». Quant à « martius », ce serait une référence à ses dimensions royales, ou bien au mois de mars, la période de l’année où le mâle commence à tambouriner sur les troncs, pour marquer son territoire et attirer les femelles. Dans son Étymologie des noms d’oiseaux, Pierre Cabard estime que le nom provient de ce bruit, très proche de celui produit par les soldats quand ils frappaient leurs boucliers de leurs glaives pour effrayer l’ennemi, d’où l’association martiale…
Tambour et martellement
Car voilà, avec son long bec, comme ses cousins les pics cendrés ou les pics épeiches, et nettement plus que le pivert, le pic noir pratique activement la percussion. Il choisit même son instrument, tel ou tel arbre, en partie pour sa sonorité, expliquait dans cette vidéo Jean-Philippe Siblet, ancien Directeur du Service du Patrimoine du Muséum d’histoire naturelle, aujourd’hui retraité. Des coups puissants, audibles à des centaines de mètres, lui permettent de se signaler auprès de ses congénères. Mais aussi, au quotidien, de se nourrir, en délogeant les insectes qui vivent dans le bois, principalement des fourmis et larves de coléoptères dont il se régale. Comme le précise le scientifique, son cerveau est protégé des vibrations par des muscles amortisseurs, situés autour du crâne. Et toc toc toc, bien campé -y compris à la verticale- sur ses quatre gros orteils, deux dirigés vers l’avant, les deux autres vers l’arrière, il martèle les troncs pour faciliter sa récolte.
Architecte des forêts
Espèce forestière, le pic noir nous intéresse particulièrement parce que, dans l’écosystème laissé en libre évolution auquel nous aspirons, il aura un rôle important. L’oiseau apprécie les endroits où on laisse les arbres prendre de l’âge, les branches tomber au sol, les troncs s’affaisser, sans que l’homme ne perturbe le cycle de la vie et de la mort. Il est dit « ingénieur », du fait de ses activités arboricoles, qui profitent à d’autres animaux. Les grandes cavités ovales creusées par lui pour nidifier sont peuplées après son départ par le pigeon colombin, la sittelle torchepot, le choucas ou diverses chouettes, dont il facilite ainsi la reproduction. Voire des chauve-souris, des martres, et même des abeilles. Par ailleurs, avec son régime alimentaire amplement basé sur les parasites des arbres (même s’il lui arrive de manger des graines ou de petits fruits comme les myrtilles), il participe à la bonne santé des espaces forestiers en limitant leur prolifération. De plus, en déchiquetant bois et écorces, il accélère leur transformation en humus… ce qui profite, in fine, aux végétaux. Une fonction de régénération primordiale !
Étonnante expansion
Commun en France, dont il peuple une grande partie du territoire, le pic noir est un oiseau discret, sensible aux perturbations. Cependant sa présence se renforce. Les ornithologues le guettent pour l’observer, intrigués par cette évolution, que n’explique pas seulement son statut d’espèce protégée. Car jusqu’aux années 1960, il était plutôt présent dans les zones montagneuses. Son expansion en direction des plaines, au rythme des dispersions des jeunes quittant le nid familial, est encore mystérieuse. Peut-être a-t-il apprécié la déprise agricole, ou bien, comme il aime à manger des scolytes, bénéficie-t-il (à quelque chose, malheur est bon !) de l’arrivée en masse de cet insecte xylophage, accélérée par le réchauffement climatique dans les espaces peuplés de résineux ? Ce serait l’une des rares bonnes nouvelles de notre siècle agité, un miracle de l’adaptation survenant chez cet animal qui, pourtant, s’épanouit traditionnellement dans les profondes et humides forêts de hêtres… Lesquelles ne sont pas à la fête lorsque s’enchaînent les étés caniculaires.
Gaëlle Cloarec, le 5 décembre 2022