Claire Braud est une auteure de bandes-dessinées née en 1981, diplômée des Beaux-arts d’Angers. Repérée en 2011 pour son roman graphique Mambo, récompensé par le prix Artemisia, elle explore à présent la forme documentaire. Quittant les extravagances de la fiction sans perdre de son originalité, elle a publié une « enquête buissonnière » en 2022, intitulée tout simplement La forêt.
Le lecteur est invité à suivre la jeune femme dans ses pérégrinations, happé par sa forte personnalité. Le temps d’un livre, elle sera l’inspecteur « Colombro », cigare au bec, cintrée dans un pardessus couleur mastic, bien déterminée à pénétrer les mystères de la forêt de son enfance, en Touraine, par tous les angles possibles. Revenue vivre à Loches, petite ville d’Indre-et-Loire, pour y retrouver « l’espèce de délicatesse de la flore qui y pousse », Claire Braud explore les sentiers des prairies du Roy, vaste surface herbeuse et boisée, préservée du béton parce qu’inondable. Son « sauvage » à elle, où humer à pleins poumons l’odeur des champignons langues de bœuf, dessiner les ragondins en s’inspirant du naturaliste suisse Robert Hainard, mêler son moi à la nature en restant immobile « jusqu’au changement désiré ».
N’allez pas croire cependant qu’il s’agisse d’une œuvre contemplative : tout commence par une infiltration digne d’un roman d’espionnage, dans le banquet cossu d’une partie de chasse. Notre inspectrice en apprend de belles sur les lobbies des chasseurs, qui auraient l’oreille d’Emmanuel Macron pour services rendus durant la période des Gilets Jaunes, leurs liens avec les oligarques russes, Alexandre Benalla, la mafia… Mais Claire Braud ne s’arrête pas là. Guidée par un garde-chasse prénommé Jacques, le zootechnicien Antoine, Sylvie, du Parc national du Morvan, ou Sylvain, qui travaille à l’ONF, elle découvre avec horreur l’influence du changement climatique sur sa chère forêt, les tiques qui prolifèrent, sans parler des scolytes. Apprend avec fascination que la présence de grands prédateurs, comme le loup, bénéficie puissamment aux espaces forestiers en rendant plus mobiles les hardes d’ongulés, dévorateurs de jeunes pousses.
Elle plonge aussi dans l’histoire du territoire, découvrant aux côtés de moines, habitant un ermitage perdu au fond des bois, la vie d’un saint médiéval, Étienne de Muret. Dialogue avec les gitans, éleveurs de splendides chevaux qu’ils abreuvent à la rivière. Sourit quand ils lui racontent leurs pratiques matrimoniales : les couples s’en vont chastement passer une nuit en forêt pour officialiser leur union aux yeux de la communauté. S’affole en réalisant que s’ils sont nombreux en Indre-et-Loire, c’est parce qu’ils y ont été parqués en camp de rétention durant la Seconde guerre mondiale. Dans cette enquête buissonnière, l’auteure met, en somme, en pratique ce que nous invite à faire le géographe Laurent Simon : voir la forêt comme un espace culturel, avec de profondes racines mémorielles. Elle se laisse surtout habiter, tous sens éveillés, par la vitalité qui y fourmille, et grâce à l’expressivité de son dessin, nous transmet un peu de son bonheur à vivre à proximité.
« Une fois seulement, un cerf m’est apparu. C’était comme une vision et j’en ressens toujours une joie au cœur et pour toute ma vie. L’imprenable beauté, l’intouchable merveille. »
Claire Braud
Gaëlle Cloarec, le 24 février 2023
La forêt
Claire Braud
Casterman, 22 €