Eux aussi vivent parmi les arbres, mais ils viennent bousculer les équilibres des espaces forestiers, déjà fragilisés par l’être humain.
Dans une série d’articles consacrés à la faune, nous vous avons parlé de diverses espèces animales qui peuplent les forêts d’Europe, le castor, le lynx, le ver de terre, le pic noir, et jusqu’au bison. Celui-ci sera consacré à d’autres hôtes, souvent considérés comme indésirables, ou envahissants, qui vivent aussi en milieu forestier. Une liste non exhaustive, mais qui permettra de faire un tour d’horizon de quelques ravageurs, dont beaucoup sont arrivés par bateau avec la mondialisation, comme l’écrivent les auteurs d’un article intitulé Les bioagresseurs invasifs dans les forêts françaises : passé, présent et avenir, publié dans la Revue forestière française en 2020.
« Il apparaît désormais évident que l’augmentation continue du commerce international accroît notablement des risques d’invasion malgré toutes les précautions et réglementations mises en œuvre et qu’il va donc falloir s’adapter à la présence de ces parasites invasifs dans nos écosystèmes. »
Revue Forestière française
D’autant que le changement climatique, avec ses sécheresses, canicules, épisodes extrêmes, amplifie les déséquilibres, chaque motif de fragilisation accentuant la vulnérabilité globale des environnements forestiers. Surtout s’ils sont appauvris ! De nombreuses études scientifiques le confirment : la diversité des espèces peuplant les forêts est un gage de leur résistance aux ravageurs et maladies. Celle publiée par l’Inrae en 2020 montre que les monocultures sont bien plus vulnérables et recommande d’éviter ce mode d’exploitation. Paradoxalement, comme l’avance ce dossier de Forêt & Naturalité, un collectif belge qui promeut les concepts de naturalité et de rewilding dans la gestion forestière, des crises comme celle du scolyte pourraient presque être une chance. En tout cas, l’occasion de tirer des leçons du passé et d’opérer, en respectant mieux la nature, une « révolution sylvicole ».
La pyrale du buis
Originaire d’Asie, la pyrale du buis (Cydalima perspectalis) a été observée à partir de 2007 dans les parcs et jardins, puis s’est répandue dans les milieux forestiers, sur une grande partie du territoire national. Ce papillon nocturne, à la couleur blanche caractéristique, s’attaque férocement aux buxaies. Ses chenilles se nourrissent des feuilles et peuvent dévorer l’intégralité du feuillage de leur hôte, voire l’écorce du tronc et des rameaux. Dans les Corbières, en Bourgogne, certaines zones d’Ardèche ou de la Drôme (le buis apprécie les sous-bois sur sols calcaires), le spectacle est navrant : du printemps à l’automne, des nuages de pyrales se multiplient sur des arbres totalement défoliés. Ce qui, bien-sûr, entraîne une forte mortalité de l’espèce, bouleversant des écosystèmes parfois très anciens, et accroît les risques d’incendie.
Mais les services de l’État, comme le souligne un point sur la situation publié en 2020 par le Département de la santé des forêts, relèvent quelques motifs d’espérance. Les buxaies du sud de la France semblent mieux résister, car la pyrale n’aime pas être directement exposée au soleil. Par ailleurs, l’invasion est suffisamment récente pour que parasites et prédateurs indigènes -mouches, coléoptères, punaises…- puissent, à terme, jouer un rôle dans sa régulation. Le temps de goûter ce nouveau met, si abondant !
Voilà qui alimentera les réflexions des écologues sur la façon dont le vivant se réorganise inlassablement, en fonction des conditions de son existence.
Le Cynips du châtaignier
Dryocosmus kuriphilus, cet insecte originaire de Chine, a été repéré pour la première fois en France en 2006, dans la Vallée de la Roya (Alpes-Maritimes). Dans les châtaigneraies corses, les premières infestations sont survenues en 2010. Une catastrophe pour les exploitants, parce que selon le Fredon, Organisme à Vocation Sanitaire qui assure le suivi des ravageurs, sa présence peut entraîner une baisse de 60 à 80 % de la production fruitière. Au printemps, elle occasionne des galles, qui freinent la croissance des jeunes pousses et déforment les organes de la plante. En forêt naturelle, d’après l’Inrae, l’impact « directement lié à l’insecte semble moins important, néanmoins, les galles sèches pourraient constituer des portes d’entrée du chancre du châtaignier ».
Sur l’Île de beauté, les châtaigniers sont désormais défendus par un prédateur naturel du parasite, Torymus sinensis, lui aussi originaire d’Asie, introduit par le groupement régional des producteurs et transformateurs de châtaignes et marrons de Corse. « On ne va pas faire disparaître le cynips. La production ne sera jamais comme avant. Il faudra vivre avec un équilibre », déclarait en 2015 Carine Franchi, animatrice du GRPTCMC. Et en effet, l’insecte est toujours là, même si la majorité des arbres ont été assainis.
Bien-sûr, reste une interrogation de fond : qu’est-ce qui, dans notre civilisation, nous conduit à vouloir résoudre une difficulté liée à la mondialisation par l’importation d’une autre espèce venue de l’autre bout de la planète ? À cela, s’ajoute un autre problème : la sécheresse s’aggrave année après année, et pour contrer cette fragilisation là, aucune introduction de prédateur n’est possible.
La Chenille processionnaire du pin
Dans un communiqué de presse du 13 mars dernier, le Parc national des Calanques à Marseille prévient que 2023 pourrait être « une année de pic » pour les chenilles processionnaires. Soit un épisode de fort développement chez ces larves d’un papillon de nuit, le Thaumetopoea pityocampa, dont les poils sont très urticants. Quand on y est exposé, d’intenses démangeaisons peuvent survenir, voire des larmoiements ou des toux, et les animaux domestiques, chiens ou chats, y sont particulièrement sensibles.
Longtemps considérées comme un fléau dans les collines du sud de la France, parce que capables de défolier quasiment complètement les résineux de la famille des pins, les chenilles processionnaires sont désormais défendues par l’institution.
« Elles ont leur place dans l’écosystème méditerranéen. Elles constituent une ressource alimentaire pour les oiseaux et certains mammifères. Leurs nids servent également d’habitats pour d’autres insectes et araignées. »
Gaëlle Berthaud, directrice du Parc national des Calanques
Pas question, donc, de pulvériser des produits chimiques pour lutter contre leur prolifération, mais des mesures douces sont mises en place dans les zones de forte fréquentation : ramassage manuel par des professionnels équipés de matériel de protection, installation d’écopièges ou encore de nichoirs à mésanges, prédateur naturel des chenilles. Un raisonnement compatible avec les mesures prises par le gouvernement, lequel a classé l’animal comme nuisible à la santé humaine, via un décret paru au Journal Officiel le 27 avril 2022 : les préfets sont désormais amenés à déployer des stratégies contre la processionnaire, mais seulement dans les lieux où les chenilles risquent de toucher les populations et les animaux domestiques.
Pas au cœur des forêts naturelles, donc, mais dans les zones urbaines, et là où les plantations de résineux se sont multipliées ces dernières années. Soit un peu partout sur le territoire national, comme on s’en rend compte sur cette cartographie de l’Observatoire des chenilles processionnaires, parce que les grandes gelées, qui limitaient leur expansion géographique, se font rares avec le réchauffement climatique.
Le Scolyte
C’est lui dont les médias parlent le plus, ces dernières années, parce que le scolyte de l’épicéa (Ips typographus), présent dans toute l’Europe, occasionne de gros dégâts dans les forêts et les plantations de résineux. Ce coléoptère pénètre sous l’écorce pour pondre ses œufs, dont émergent des larves qui s’attaquent également aux arbres, bloquant la circulation de la sève, ce qui entraîne un dépérissement voire une mort rapide. D’où les images spectaculaires de pessières maronnasses sur des hectares entiers ; elles perdent à vue d’œil de leur valeur économique, au grand dam de la filière bois.
Dans le livre-revue Forêts, le journaliste Gaspard d’Allens explique que les scolytes font des ravages dans les monocultures, où leurs populations atteignent de tels niveaux qu’ils dévorent même les arbres sains, alors que sur les zones forestières naturelles, ils s’attaquent essentiellement aux individus faibles. Une conséquence selon lui de nos choix de société : la recherche du profit a conduit les exploitants à planter des épicéas, une essence de montagne, en plaine, où les ravageurs pullulent grâce aux hausses de température. Ils sont là, et pas prêts de lâcher du terrain, parce que tout ce qui fragilise leurs hôtes, sécheresse, pollution, glissements de terrain, leur permet de mieux s’implanter.
Or l’épicéa, quand il est en bonne forme, dans un environnement varié, peuplé d’autres espèces, a des défenses naturelles contre le scolyte : une écorce épaisse, et la production de résine pour obstruer ses trous d’entrée et les galeries. Là encore, voir le dossier de Forêt & Naturalité. Les solutions « techniciennes » envisagées s’avèrent inefficaces et coûteuses. Les pessières, certes très rentables durant quelques décennies, mais au prix de la biodiversité, ont fait leur temps.
Ne vaudrait-il pas mieux laisser la forêt s’adapter, sans entraver ses dynamiques, et repenser ses usages ? … Car de tous les ravageurs, le plus terrible n’est-il pas l’Homo economicus ?
Gaëlle Cloarec, 10 avril 2023