Une dizaine de contributeurs éclairent les enjeux contemporains de la forêt dans un ouvrage collectif publié par La Relève et la Peste.
Forêts. Un beau titre, tout simple, qui recèle pourtant des mondes. À la fois tangibles et imaginaires. Si riches qu’on ne pensait pas, un jour, s’affoler de les voir à ce point menacés de toutes parts. Comme l’océan, cet autre écosystème crucial aux grands équilibres terrestres, les forêts du globe sont, selon les mots si justes de Thierry Thévenin, « malades de notre civilisation ». À force d’être « polluées, agressées, rasées, artificialisées, brûlées, broutées dans des proportions qui menacent leur existence même à court terme ». Avec une dizaine d’autres écrivains, scientifiques, penseurs ou personnalités de terrain, l’auteur d’un magnifique Plaidoyer pour l’herboristerie (Actes Sud, 2013) contribue à un ouvrage publié par la maison d’édition du média La relève et la peste.
Revenir d’exil
Les regards croisés de chacun des auteurs du livre dressent un état des lieux très affûté de la situation. Pour le journaliste Gaspard d’Allens, nous souffrons de « malforestation ». Tout le monde a entendu parler d’exode rural à l’école, fort peu se préoccupent de l’exil forestier qui lui fut concomitant.
« Nous avons fui les bois et toute une culture a disparu sans que l’on s’émeuve, avec sa richesse et ses savoir-faire, sa manière d’être au monde, sa sensibilité au vivant (…) Une récente étude montrait que les enfants en sixième étaient incapables d’identifier dix essences d’arbres, contrairement aux marques de voitures ou de vêtements. » Un comble quand on sait que notre espèce a évolué durant des millénaires dans et avec les espaces forestiers, et qu’« au début du XXe siècle, il y avait encore une centaine de métiers différents dans les bois ».
Que peut-il rester de ces pratiques dans une monoculture de résineux imbibée d’intrants chimiques, où rien ne pousse et rien n’invite à la balade contemplative ?
La connaître, c’est l’aimer
Selon le philosophe Baptiste Morizot, il n’est pas trop tard pour s’éduquer collectivement à la forêt. En identifiant, pour commencer, son adversaire, la foresterie industrielle. « Nous avons besoin de bois, écrit-il, conséquemment des formes d’exploitation sont nécessaires. » Mais pas n’importe lesquelles ! Des alternatives douces existent, « libérées du culte du rendement ». Catherine Lenne, botaniste, nous invite quant à elle à mieux connaître les arbres, dans un voyage fascinant d’une trentaine de pages. Son écriture vivante et débordante de savoir est un régal. À ses côtés, on apprend qu’un fait majeur – en tant que végétaux, ils ne peuvent fuir les dangers qui les menacent – a des conséquences sur toute leur constitution et leurs interactions avec leur environnement. Être habillés de liège, par exemple, les protège de la déshydratation. La subérine, une cire imperméable, sert d’isolant thermique, procure une protection mécanique, et même un antiseptique. Autant de détails scientifiques qui viennent nourrir notre compréhension des espèces ligneuses, des radicelles aux frondaisons, de l’aubier jusqu’au cœur du duramen.
Relier les vivants
La rédactrice en chef de La relève et la peste, Laurie Debove, insiste quant à elle : « un arbre n’est jamais seul ». Ces champions de la symbiose interagissent avec leurs semblables et une myriade d’autres espèces végétales ou animales…
« Une cuillerée à café de terre forestière peut contenir plusieurs kilomètres de filaments appelés hyphes, un seul champignon peut au fil des siècles s’étendre sur plusieurs kilomètres carrés et mettre en réseau des forêts entières. »
De son côté, Georges Feterman milite avec son association A.R.B.R.E.S pour que la loi reconnaisse le statut d’êtres vivants aux arbres, « avec toutes les conséquences que cela aurait sur le respect du feuillage et du réseau racinaire ». Dans la Déclaration des droits de l’arbre, qu’ils ont soumise aux collectivités et que certaines municipalités ont adoptée, un paragraphe porte sur les arbres forestiers, « qu’il faut traiter avec délicatesse, dans des conditions très précises qui respectent l’équilibre écologique de la forêt, ce qui implique d’arrêter les coupes rases, par exemple ». On ne saurait mieux dire !
Gaëlle Cloarec, le 30 mars 2023
Forêts
Aymeric de Kerimel, Catherine Lenne, Gaspard d’Allens, Laurie Debove, Georges Feterman, Baptiste Morizot, Max Félix, Thierry Thévenin, Jean-Luc Pillard, Ernst Zürcher
La relève et la peste (2022), 22 €