Eaux et forêts : entretien avec Florence Habets, hydroclimatologue

Florence Habets, hydroclimatologue, directrice de recherche CNRS au laboratoire METIS (Milieux Environnementaux, Transferts et Interactions dans les Hydrosystèmes et les Sols).

Cet entretien fait partie de la série Eaux et Forêts, initié avec l’article éponyme, qui explore les liens complexes qu’entretiennent forêts et cycle de l’eau.


Commençons par la base, quel est le lien entre eau et arbre ?

Un arbre ne peut pas vivre sans eau, c’est déjà un premier point. Elle vient des précipitations, même si certaines espèces arrivent à collecter un peu la rosée – c’est un enjeu notamment dans les régions arides, où elle peut assurer leur survie. Mais il la puise aussi profondément dans le sol, qui est un mot-clé. Un arbre a des relations vraiment très importantes avec le sol, où il trouve les sels minéraux dont il a besoin. Sa qualité va beaucoup jouer sur le circuit de l’eau. Quand la pluie tombe, elle peut soit ruisseler, soit s’infiltrer, et la présence des arbres réduit sa circulation en surface. Un sol assez travaillé par les racines et la biodiversité va permettre qu’elle rejoigne la nappe. C’est aussi un excellent facteur de réduction de l’érosion, et du coup, quelque chose qui préserve le stockage d’eau dans les sols. En même temps, il en utilise beaucoup, c’est un gros consommateur d’eau ! C’est impossible, de fait, d’irriguer une forêt. Lors de sécheresses en Californie, certains ont voulu sauver de grands séquoias en les arrosant, mais cela représente des milliers de litres.

Vue aérienne de la forêt de Białowieża, en Pologne : un cours d'eau serpente entre des arbres
Méandre d’un cours d’eau forestier au printemps, Białowieża, Pologne © Pierre Chatagnon

On voit que ces trois pôles, arbres, eau, sols, sont absolument liés. Quelles différences y-a-t-il entre une forêt naturelle et une plantation ?

Une forêt doit être « en accord » avec les précipitations qui tombent sur son bassin versant. Si on prend la forêt artificielle des Landes [NDLR : elle consiste essentiellement en une monoculture de résineux], elle a poussé sur un marais, en forte connexion avec la nappe phréatique. Malheureusement une grande partie a brûlé, et le niveau de la nappe est fortement remonté, faute de prélèvements par ces arbres morts. Le risque d’inondation est accru. Les survivants sont menacés d’asphyxie, leurs racines sont sous l’eau.

Un autre point important est le rôle que jouent les zones forestières dans les déplacements d’air : en raison de ce qu’on appelle la « rugosité » de l’arbre, il s’élève au dessus, cela crée des turbulences. Elles vont être d’autant plus importantes que la forêt est hétérogène, quand les espèces et les âges sont variés. Le bilan d’énergie en surface est aussi différent quand il y a des arbres. Assez sombres, avec un albédo faible, ils vont absorber de la chaleur solaire, former un piège pour les rayonnements infrarouges. Typiquement, la neige tient beaucoup moins bien sous forêt qu’ailleurs, il y fait moins froid. Tout cela va jouer sur la circulation de l’eau. Pour le dire simplement, le milieu forestier impacte le bilan d’eau par son évaporation, par sa capacité à stocker l’eau dans les sols, et aussi le bilan d’énergie. Les flux de chaleur sont modifiés.


Toute une dynamique et des interactions affectées par le comportement humain…

En effet. Dans une forêt naturelle, il y a un équilibre. À la base, elle s’installe là où il y a de l’énergie et de l’eau. Quand l’homme vient mettre son grain de sable – ou plutôt sa pelleteuse – il va la détruire là où elle était présente, et parfois aussi essayer de l’implanter là où elle n’était pas spontanément. L’équilibre est remis en question. Par ailleurs, du fait du réchauffement climatique, certains endroits deviennent propices à de la forêt, qui ne l’étaient pas avant.

En France on a plutôt un gain de surface forestière, dans les milieux les moins rentables, les plus difficiles, essentiellement la montagne, mais en parallèle on a beaucoup perdu d’arbres dans les plaines agricoles. Partout dans le monde les sécheresses, incendies de forêts se multiplient. Les destructions volontaires pour ensuite cultiver perdurent. On a même vu préconiser de détruire des forêts primaires, remplacées par des forêts à croissance rapide pour aller stocker du CO2, une forme de greenwashing très néfaste.


Vous faites allusion aux dispositifs de compensation carbone ?

C’est vraiment une catastrophe, cette idée un peu facile, « on a un problème avec le carbone, on va planter des arbres ». Bien-sûr, puisqu’on a beaucoup détruit la forêt, replanter là où on a déforesté est sans doute une bonne idée, mais il faut surtout ne pas détruire ! La préservation des milieux existants et anciens est toujours à favoriser par rapport à la destruction et la compensation. « Ok je détruis là, mais je vais replanter ici » n’est pas la solution. On dit toujours qu’« éviter, réduire, compenser » sont les trois maîtres mots du monde de l’eau. Mais il faut avant tout éviter, parce qu’on ne retrouve jamais l’équivalent de ce que peut faire un vieil arbre ou un espace forestier qui va bien.

« le sol est quand même le plus gros réservoir d’eau douce dans le monde »

La Krynica en automne, forêt de Białowieża, Pologne © Pierre Chatagnon

Je reviens sur le sol, qui est quand même le plus gros réservoir d’eau douce dans le monde. Ce n’est pas tout à fait vrai parce qu’il y a aussi les glaciers, mais néanmoins, c’est celui qui est un support de vie. En tout cas, la richesse du sol est liée à cette vie construite sur le temps long. Et donc, détruire des arbres anciens, c’est détruire tout le système.


En somme, il ne faut pas tout confondre ! Les solutions hâtives peuvent être pires que le mal.

Certains projets de replantation sont certainement bienvenus. Après, la question qui se pose, c’est quelle plante ? Comment est-ce qu’on intègre l’adaptation des éléments par rapport au changement climatique ? Ce qu’on sait, c’est qu’on ne sait pas. Je pense que c’est important de le dire. Avec toutes les erreurs qu’on a pu commettre, certaines choses ont quand même été apprises : par exemple que les forêts de monoculture, ça ne va pas le faire. Parce qu’elles sont sujettes à des maladies, vulnérables aux tempêtes, elles ne sont pas résilientes. Donc favoriser des forêts diversifiées, c’est le minimum. Après, faut-il les laisser faire toutes seules pour qu’elles s’adaptent ? Je ne suis pas une spécialiste de la forêt, mais je me dis que ce n’est pas une mauvaise chose qu’elle trouve elle-même son équilibre. En général, on intervient énormément sur l’environnement et on fait souvent des bêtises que l’on rattrape… en faisant une nouvelle bêtise. Peut-être que la nature, par ses effets de sélection naturelle, est plus efficace que nous, qui avons du mal à anticiper l’évolution sur le long terme de toute façon.

Arbre mort en bordure de la rivière Krynica, forêt de Białowieża, Pologne © Jessica Buczek

La forêt, c’est aussi un havre de biodiversité. Or les plantations « biomasse », où il n’y a pas de vie, on peut difficilement se les permettre. On a besoin d’avoir des forêts vivantes.
Et quelque part aussi, des forêts refuges pour beaucoup, parce qu’il y fera plus frais en été. Aujourd’hui on a l’impression que tout doit être exploitable ; il y a des questions à se poser par rapport aux enjeux.


Propos recueillis par Gaëlle Cloarec, le 25 novembre 2024

Photo de couverture : vue aérienne de la forêt de Białowieża, Pologne © Pierre Chatagnon

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