Le cycle de l’eau sur la planète est étroitement lié à l’étendue et la santé de ses zones forestières.
Les arbres rejettent de la vapeur d’eau à travers leurs feuilles et participent ainsi au régime des pluies. Parmi les végétaux, ce sont eux qui ont les racines les plus profondes, avec lesquelles ils pompent efficacement l’humidité du sol. Leur architecture facilite la circulation des flux vers le haut, par la photosynthèse et l’évapotranspiration ; et vers le bas, en décompactant la terre. La faune qui leur est associée, comme les vers de terre, ou le réseau de leurs mycorhizes, créent des porosités où l’eau s’infiltre plus facilement. Un grand chêne peut transpirer une tonne d’eau par jour ! « L’eau verte » (celle que l’on ne voit pas, stockée dans la biomasse et la terre) alimente ainsi « l’eau bleue », visible dans les nuages, les fleuves, lacs et torrents.
Rivières volantes au dessus des continents
Cette transpiration des végétaux peut provoquer des pluies localisées ou très éloignées, en fonction des vents, des reliefs qui leur font obstacle, et de la taille des massifs forestiers. Les grandes forêts tropicales jouent un rôle clef dans le cycle de l’eau à l’échelle mondiale. Dans un documentaire d’Arte, Le mystère des rivières volantes d’Amazonie, Antonio Nobre, chercheur émérite en écologie et géosciences à l’Institut National de Recherche Spatiale de São Paulo, estime que la forêt amazonienne est peuplée de peu ou prou 400 milliards d’arbres, autant de « geysers verts », dit-il. Ils vaporisent 20 milliards de tonnes d’eau par jour dans l’atmosphère, plus que les 17 milliards de tonnes déversées quotidiennement par le fleuve Amazone dans l’Atlantique. Observer ces immenses panaches évoluer dans le ciel est très impressionnant, d’autant que le phénomène se renforce avec le réchauffement de l’atmosphère, qui contient plus d’humidité : 20 % supplémentaires depuis les années 1960. Contrairement aux nuages, ils ne sont pas visibles à l’œil nu, mais dans le spectre infrarouge et les micro-ondes, révèle un article très détaillé de la BBC. Les scientifiques les étudient par satellites :
« une rivière atmosphérique moyenne mesure environ 2 000 kilomètres de long, 500 kilomètres de large et près de 3 kilomètres de profondeur – bien qu’elles soient de plus en plus larges et longues, certaines dépassant les 5 000 kilomètres de long ».
Qui dit déforestation dit sécheresse…
Les interactions du système Terre sont incommensurables. De tels volumes d’eau circulant ont des conséquences énormes sur l’agriculture. Pour Antonio Nobre, le « quadrilatère de la chance », zone la plus fertile du continent latino-américain, qui va de Cuiaba à Buenos Aires, de Sao Paulo jusqu’aux Andes, aurait dû être un désert à cause de sa latitude. Cependant elle nourrit des millions de personnes, grâce, d’après lui, à la forêt primaire. En somme, ce ne serait pas seulement parce qu’il pleut que la forêt amazonienne existe, mais aussi parce qu’elle existe qu’il pleut et que les champs alentour sont irrigués.
Or, la déforestation, d’origine anthropique, bouleverse ces dynamiques et équilibres complexes. Malgré les efforts des défenseurs de l’environnement et les quelques mesures prises par certains leaders politiques comme le président Lula au Brésil, elle se poursuit. Et bien sûr, plus la zone déforestée est étendue, plus les précipitations sont impactées. Une étude parue dans la revue Nature en 2023, publiée par des chercheurs de l’université de Leeds, montre que sur des secteurs abîmés de 200 km2, 1 % de perte de forêt réduit les pluies de 0,25 % par mois. Le point de non-retour approche : le « poumon vert de la planète » pourrait bientôt ne plus être en mesure de produire sa propre pluie, et se transformer en une savane, ce qui entraînerait des réactions en chaîne catastrophiques.
La situation s’aggrave dans les forêts tropicales, mais pas que, les boréales aussi. D’après Global Forest Watch, de 2001 à 2022, la Russie est le pays qui a connu la disparition de couvert forestier la plus importante dans le monde. Les feux massifs dans la taïga libèrent le carbone et le méthane emmagasinés dans ses tourbières, avec à la clef des « boucles de rétroaction » : l’atmosphère se réchauffe encore plus, entraînant une nouvelle augmentation des incendies, et ainsi de suite.
… mais aussi inondations
Paradoxalement (et ici le terme de « dérèglement » climatique convient particulièrement), l’atmosphère saturée d’humidité est susceptible de déverser localement d’énormes quantité d’eau en peu de temps, occasionnant crues soudaines et glissements de terrain. Les moussons sont erratiques et explosives, des épisodes tempétueux surviennent dans des secteurs inhabituels, comme le Sahara. La modification de la circulation atmosphérique, et donc de la répartition spatiale des pluies, se traduit par une réduction des cumuls de précipitations dans certaines régions, explique Florence Habets, hydroclimatologue « mais également par une augmentation des précipitations intenses et, en parallèle, par une forte augmentation de la demande évaporative conduisant à des sécheresses plus longues et plus sévères. Ainsi, à précipitations constantes, moins d’eau s’écoule aujourd’hui dans les rivières ou dans les nappes. » [ NDLR : l’air ambiant exerce une « demande évaporative » lorsqu’il n’est pas saturé d’humidité ; plus il est sec, plus l’évaporation augmente. ] Quand l’orage éclate, surtout si le territoire est artificialisé, l’eau ruisselle sans s’infiltrer dans le sol. Avec des conséquences meurtrières, comme cela a été le cas à l’automne 2024 en Espagne.
Récapitulons le paradoxe climat/cycle de l’eau : à mesure que les températures globales augmentent, l’eau s’évapore massivement dans l’atmosphère, occasionnant plus de précipitations, intenses et localisées. Pourtant, des portions croissantes de territoires sur la planète s’assèchent. Pourquoi ? Parce que, les températures grimpant, moins d’eau est stockée dans le sol.
Favoriser l’équilibre
La bonne nouvelle est qu’il est possible de renverser la tendance. Quand l’humanité cesse d’interférer, la nature se régénère et tend vers l’équilibre. Le Sahel est un bon exemple des possibilités d’amélioration : en 2017, des climatologues de l’Université du Wisconsin–Madison se sont appuyés sur des données satellites, relevés de pluviométrie et autres sources pour modéliser le lien entre les chutes de pluie et la végétation dans cette région sèche. Ils en concluent que si la masse végétale augmente, les précipitations suivent : les plantes captent l’humidité dans le sol et la relâchent dans l’atmosphère, où elle se concentre pour pleuvoir à nouveau, de manière renforcée, parfois dans d’autres zones du Sahel, en un cercle vertueux qui produit à son tour plus de végétation.
L’effet sur la biodiversité du retour des arbres est souvent spectaculaire. Dans les secteurs tempérés aussi, surtout quand il est couplé au ré-ensauvagement, comme le relève Annik Schnitzler, membre de notre association, dans un article sur la forêt de Naliboki. L’activité humaine limitée sur cette vaste zone humide en Biélorussie a favorisé le retour d’une foisonnante vie animale : bisons, élans, castors, loups, ours, lynx, tétras, cigognes, aigles, balbuzards, chouettes, amphibiens, coléoptères aquatiques, poissons de milieux stagnants… Idem, au Mexique, avec l’excellente nouvelle de la régénération du fleuve Colorado : 540 hectares d’arbres natifs ont contribué à une revitalisation spectaculaire.
Toutes les forêts sont importantes
Quelle que soit la latitude, ou l’altitude, les espaces forestiers du monde entier contribuent au bien commun. Les mangroves limitent l’érosion des côtes, les ripisylves protègent (un peu) les cours d’eau de la pollution phytosanitaire. Les forêts de montagne, quant à elles, captent l’humidité des nuages grâce à des espèces adaptées aux conditions difficiles des hauteurs, et alimentent les nappes phréatiques. En Colombie, à 3 700 mètres d’altitude, les grands arbres sont remplacés par des plantes poilues, les frailejones, parfaitement adaptées à ces conditions particulières.
Bien évidemment, les monocultures ne donnent pas du tout les mêmes résultats que les forêts naturelles. Elles sont plus fragiles face aux aléas climatiques, et appauvrissent les sols, quand bien même elles ne sont pas toutes imbibées de pesticides. Leur exploitation sous forme de coupes rases contribue aux ravinements et sécheresses.
Les conséquences majeures du couvert forestier sur le cycle de l’eau à l’échelle locale et globale impliquent que les politiques de déforestation, reforestation ou régénération menées ici peuvent affecter la pluviométrie là-bas. Prendre en compte les communautés locales, en aval et en amont des bassins versants, pour éviter les injustices dans la captation et les usages est indispensable. D’où l’importance de se parler et de réfléchir à des stratégies coordonnées, du régional au national puis à l’international. Les forêts donnent lieu à du dialogue ! Dans un contexte explosif où l’eau, élément crucial de la vie, devient un enjeu de plus en plus tendu, c’est d’autant plus nécessaire.
Gaëlle Cloarec, le 28 novembre 2024
Photo de couverture : Mare naturelle dans la forêt de Białowieża, Pologne © Jessica Buczek