Cultiver l’association : Le livre de l’agroforesterie

Tout apprendre (ou presque) sur l’agroforesterie avec l’écologue Emmanuel Torquebiau

Les éditions Actes Sud ont publié en juin 2022 un ouvrage qui devrait faire date : Le livre de l’agroforesterie – Comment les arbres peuvent sauver l’agriculture. 300 pages opérant une synthèse de ce que le savoir scientifique et expérimental a pu réunir sur le sujet depuis l’apparition de ce concept, dans les années 1970.

L’écologue Emmanuel Torquebiau*, chercheur émérite au CIRAD et directeur de recherche à l’université Montpellier-3, a suivi au fil des décennies l’évolution de l’agroforesterie à travers la planète. Les fluctuations de sa définition elle-même, jusqu’à désigner, simplement, les pratiques qui associent arbres, cultures agricoles et/ou animaux d’élevage. Les débats, expériences, retours de terrain auxquels il a participé, dans des dizaines de pays. Les liens entre agroforesterie, permaculture, agriculture biologique et agroécologie. Ses rapports avec la biodiversité, le changement climatique, la pollution… Le tout sous la forme instructive et vivante d’un « mélange de description, de science et de faits (…) d’anecdotes et de souvenirs personnels aussi ».

agroforesteriecouvld

Choix des mots, pertinence des images

Pour bien démontrer l’importance des mots, l’auteur a ainsi choisi significativement d’utiliser « ferme » et pas « exploitation agricole » comme le requiert le vocabulaire agronomique français. « Car j’ai acquis, écrit-il, la conviction qu’il fallait désormais abandonner la notion d’exploitation de la terre, dont j’ai réalisé qu’elle était le symbole des malheurs de l’agriculture d’aujourd’hui. » Le livre peut se lire de manière non-linéaire, en se laissant guider par la curiosité pour évoluer entre des chapitres courts, richement illustrés de photographies, dessins en coupe, infographies, documents d’archives. De quoi satisfaire professionnels -pour la vision d’ensemble et la précision des sources- et amateurs -pour la joie d’apprendre sans être découragé par des termes trop techniques. L’importance des sols vivants, par exemple. Celle des vers de terre, (ce en quoi l’écologue est d’accord avec Christophe Gatineau, interviewé ici). Un tiers des sols de la planète ont été érodés au point de devenir stériles, nous dit-il. Or l’agroforesterie élève le taux de matière organique dans les zones où elle est pratiquée : en découle plus de fertilité, abondance de faune souterraine, et meilleur stockage du carbone. De plus, les racines des arbres structurent le terrain, évitent le ravinement, tout en assurant une meilleure infiltration de l’eau.

Des techniques ancestrales aux idées nouvelles

Emmanuel Torquebiau revient sur les multiples pratiques précurseures de l’agroforesterie.

« (…) en Amazonie, le développement de sociétés complexes a commencé il y a 4500 ans avec l’adoption de méthodes de polyculture agroforestière. »

Dans les oasis du monde antique, Pline l’Ancien relevait déjà, nous apprend-il, des cultures multi-étagées, comme cela se fait encore aujourd’hui en milieu désertique, où oliviers, agrumes et légumes poussent à l’ombre des palmiers dattiers. Des forêts-jardins, comme en Indonésie, sont nées bien avant que les scientifiques ne s’en mêlent, par la main de peuples encourageant la croissance d’espèces comestibles au sein d’espaces forestiers naturels.

Aujourd’hui, la recherche puise dans ces savoirs traditionnels, et vient épauler les agroforestiers confrontés à l’évolution catastrophique du climat. En Afrique, les chercheurs étudient les performances d’une espèce ressemblant à l’acacia, Faidherbia Albida, qui se couvre de feuilles durant la saison sèche, abritant des animaux d’élevage friands de ses gousses, lesquels fertilisent le sol avec leurs déjections, en un cercle on ne peut plus vertueux.

Vive la variété !

D’une manière générale, l’agroforesterie promeut la variété, essentielle à la robustesse d’un système vivant. Emmanuel Torquebiau se désole que rien, dans sa définition, n’interdise l’usage des intrants chimiques ou des OGM, alors que son esprit va à l’inverse des pratiques de l’agriculture intensive. 70 % des haies ont disparu en France depuis 1945, sous l’effet du remembrement, déplore-t-il : le bocage, pourtant, est un paysage tellement plus résistant aux sécheresses et autres catastrophes, quand les arbres servent de coupe-vent, limitent la dispersion des produits chimiques. Au détour des pages, il glisse l’origine du mot « brouter », issu du brout, le fourrage des arbres. Frêne, noisetier, mûriers… Sous nos latitudes aussi, une partie de la ration alimentaire des animaux d’élevage peut provenir des espèces ligneuses. C’est d’ailleurs bénéfique pour leur santé, et peut même diminuer leurs émissions de méthane, gaz à effet de serre aux conséquences dommageables, en améliorant leur digestion.

Changement de paradigme

Pour faire de l’agroforesterie, il faut « accepter un peu de désordre », souligne l’auteur. Il s’agit d’une discipline de compromis, qui évalue finement la compétitivité des plantes afin de la pousser à la complémentarité. Dans les milieux dégradés, comme le Sahel, elle fonctionne mieux avec les techniques de régénération naturelle assistée, quand on encourage les arbres ayant germé tout seuls, qui se montreront plus robustes. Mais même en zone tempérée, Emmanuel Torquebiau invite à lui faire une plus grande place.

« On peut par exemple imaginer de l’utiliser dans les programmes de restauration écologique, à la place d’opérations onéreuses de replantation. »

Car malgré ses infinis avantages et un intérêt croissant témoigné par les milieux scientifiques, les pouvoirs publics et les citoyens, l’agroforesterie ne décolle pas vraiment. Une fois dépassé le mythe des hauts rendements produits par l’agriculture conventionnelle (qui ne tient pas compte des coûts cachés ni des externalités négatives telle que la pollution), le combat pour qu’elle soit reconnue dans les politiques agricoles n’est pas encore fini. Elle n’a vraiment d’existence ni dans l’enseignement des lycées agricoles**, ni dans les démarches et financements d’installation d’agriculteurs, ni dans le fonctionnement actuel du marché. Ceux qui choisissent cette voie – de plus en plus nombreux – doivent être dotés d’un courage de pionniers. Il n’est pas exclu qu’un jour « un sol fertile, vivant et riche en carbone » soit plus valorisé qu’« un sol qui ne l’est pas ».

La conclusion d’Emmanuel Torquebiau invite à un changement de paradigme, pour allier des objectifs de production alimentaire, indispensables, à des objectifs de protection des écosystèmes, lesquels deviennent de plus en plus vitaux.

Gaëlle Cloarec, le 3 novembre 2022

* Emmanuel Torquebiau est membre fondateur de l’Association Francis Hallé pour la Forêt primaire.

** Toutefois, signe d’une évolution, cet automne s’est ouverte la première école d’agroforesterie en France : https://efa.agroforesterie.fr/

Partager cet article
Articles similaires
bandeau conseils de lecture forêts sauvages
Miraculeuses forêts – Forêts sauvages

Les éditions Glénat viennent de publier un « beau livre », selon l’expression consacrée. Un livre magnifique, en vérité, consacré aux Forêts sauvages à travers le monde. Boréales, tempérées ou tropicales, elles

Lire plus »
Soutenez-nous !

En soutenant l’association Francis Hallé, vous agissez concrètement pour la renaissance d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest

Chercher dans les pages et les articles du site

Merci !

Vous êtes inscrit à notre newsletter. Vous recevrez prochainement de nos nouvelles.

Pour suivre l’avancée du projet de forêt primaire, inscrivez-vous à notre newsletter !