Jean-Pierre Rogel est journaliste scientifique, auteur de La planète du Héron Bleu (éditions La Presse) et consultant en conservation sur forêts privées. Résidant au Canada, il nous propose dans cet article de suivre comme si nous y étions les discussions et échanges qui ont animé la COP15 pour la biodiversité qui s’est tenue ce mois-ci à Montréal.
Acte I : les acteurs se mettent en place
Ici, à la COP 15 de Montréal, c’est un véritable feu d’artifice de négociations, de discours, de side-events.
On sent que l’enjeu d’un nouveau cadre mondial pour la biodiversité mobilise beaucoup de monde. On ne sait plus où donner de la tête. Le flot de l’information est continu, beaucoup de discussions se déroulent en parallèle.
Côté cour, dans ces premiers jours, les discours des leaders ont retenu l’attention. Antonio Guterres, le Secrétaire général des Nations Unies, a été très incisif :
« Avec notre appétit sans limite pour une croissance économique incontrôlée et inégale, l’humanité est devenue une arme d’extinction massive »
Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations Unies
Il a appelé à mettre fin à « l’orgie de destruction » et à conclure un traité de paix avec la nature – une idée forte. Rappelant que la Convention sur la diversité biologique a pour mission de s’attaquer aux causes profondes de la perte de biodiversité, il a demandé l’abolition des subventions néfastes et exhorté les pays développés à fournir un soutien financier massif aux pays du Sud. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a renchéri et y est allé d’une phrase forte en conclusion :
« Si nous ne pouvons pas nous entendre sur quelque chose d’aussi fondamental que la protection de la nature, alors rien d’autre n’a d’importance »
Justin Trudeau, Premier ministre canadien
Plus d’ambition, c’est semble-t-il le mot d’ordre général. Cette ambition se traduit par un document en négociation depuis trois ans au moins, le nouveau cadre mondial pour la biodiversité dont on vise l’adoption à la COP 15. Ce texte assez long (35 pages) est pour le moment truffé de mots, de chiffres ou d’expressions entre crochets. Ces « trous dans le texte » correspondent aux derniers points en négociation, qu’il faudra trancher à Montréal avant l’adoption finale.
Pour connaître l’ampleur de la réussite ou de l’échec relatif de la COP, il faudra examiner ces détails dans le texte final. Toutefois, l’adoption de ce cadre mondial renouvelé, s’il n’est pas amputé d’éléments essentiels, constituera un vrai progrès.
Globalement, le projet vise à stabiliser les pertes de biodiversité d’ici 10 ans, puis faire en sorte que la diversité biologique augmente de nouveau en laissant les écosystèmes se régénérer d’ici 30 ans. En somme, il faut renverser la vapeur. De nombreux experts, dont ceux de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), considèrent que c’est un pari difficile, mais tenable.
La mesure-phare (cible 3) concerne la protection d’une partie des terres et des zones côtières. La nouvelle cible vise 30 % de « conservation efficace » des terres et des mers sous contrôle des États. La qualité importe, pas seulement la quantité.
Côté jardin, j’ai assisté à deux rencontres organisées par le Collectif COP15, qui regroupe une soixantaine d’organismes de la société civile québécoise. Une belle diversité de voix, et une constante demande d’actions plus ambitieuses. De l’enthousiasme et quelques idées assez nouvelles – comme celle des programmes de « gardiens du territoire » qui se développent dans les communautés autochtones, mais aussi ailleurs. Dans la salle, beaucoup de jeunes, des étudiants, des militants. Ce samedi, des centaines d’organisations de la société civile québécoise et internationale appellent à participer à une grande marche pour le vivant. Il devrait faire beau, un bon signe pour la mobilisation populaire.
Y-a-t-il de l’espoir pour la protection des forêts sur le plan international ? L’enjeu central est de stopper la déforestation des forêts tropicales. Plusieurs cibles du cadre mondial en discussion touchent cette question. Je me propose de vous en donner des nouvelles dans une semaine, lorsque les fameux crochets auront diminué et que nous approcherons d’un texte pour adoption finale.
Acte II : les péripéties du nouveau cadre mondial pour la biodiversité
À l’issue d’intenses négociations, 195 pays réunis à Montréal lors de la COP 15 ont adopté un nouveau cadre mondial pour la protection de la biodiversité. Un cadre ambitieux, même si le véritable test réside dans la mise en œuvre des promesses. Comme l’a souligné Marco Lambertini, le directeur général du Fonds mondial pour la nature :
« les gouvernements ont choisi le bon côté de l’histoire, mais l’histoire nous jugera si nous ne respectons pas les engagements pris »
Marco Lambertini, le directeur général du Fonds mondial pour la nature
L’entente, d’une ampleur sans précédent, a été habilement pilotée par le président chinois de la conférence, Huang Runqiu. Alors que plusieurs pays africains, menés par la République démocratique du Congo, jugeaient insuffisante la mobilisation des ressources financières et exprimaient leur opposition dans la nuit du dimanche 18 décembre, le président a laissé la discussion se poursuivre, puis a demandé une courte suspension technique. Suite à quoi, prenant appui sur une intervention précédente très acclamée du Mexique, il a conclu en indiquant qu’il n’avait pas entendu d’opposition formelle. Empoignant son marteau, le gardant un instant suspendu dans les airs, il l’a abaissé en un coup sonore et proclamé l’adoption du texte. Fin de quatre années de préparation et de dix jours de négociation : nous avons un accord !
Les deux mesures-phares du nouveau cadre mondial sont la cible 1, qui vise à diminuer à « près de zéro » la perte des zones très riches en biodiversité d’ici 2030, et la cible 3 dite objectif 30 x 30, qui est plus connue. Elle vise à atteindre 30% d’aires protégées et conservées, terrestres et marines, « efficacement gérées, écologiquement représentatives et équitablement gérés » – tous les mots comptent – par le biais des aires protégées et des autres mesures efficaces de conservation par zone (AMCEZ), en respectant les droits des peuples autochtones et communautés locales sur leurs territoires, d’ici 2030.
La référence explicite aux droits des autochtones constitue un progrès et la nouvelle catégorie des AMCEZ, qui s’applique très bien aux réserves naturelles d’origine autochtone, aidera beaucoup à attendre la cible. Mais celle-ci est très ambitieuse, si on considère que la protection globale atteint pour le moment 17 % des terres et 10% des mers. La barre est donc très haute, et il faudra voir quels sont les moyens engagés, sur lesquels il n’existe pour le moment qu’une entente fragile. Dans l’immédiat, il faudra la renforcer. On est encore loin de ce que réclamait par exemple l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), soit « l’augmentation des ressources financières, toutes sources confondues, pour atteindre au moins 200 milliards de dollars par an, y compris les ressources financières nouvelles et supplémentaires, et l’augmentation des flux financiers internationaux en faveur de la conservation ».
Parmi les autres mesures adoptées, on note la restauration de 30% de la superficie d’écosystèmes terrestres et marins dégradés (cible 2); la réduction de 50% de l’introduction des espèces exotiques envahissantes (cible 6); la réduction des pollutions dont au moins de moitié pour les engrais. les pesticides et les substances chimiques dangereuses, et l’élimination de la pollution plastique (cible 7); l’augmentation des pratiques agricoles favorables à la biodiversité comme l’agroécologie (cible 10) ; la réduction de moitié du gaspillage alimentaire (cible 16).
Qu’y a-t-il dans cette révision tant attendue de la Convention sur la biodiversité qui puisse faire avancer la protection des forêts primaires ?
Les cibles 1 et 3 sont les plus importantes à cet égard. Les forêts primaires, particulièrement celles des pays tropicaux, sont des hauts lieux de biodiversité et devraient être protégées en priorité. Le cadre mondial le reconnaît, mais la pression exercée sur les forêts intactes ou semi intactes en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie ne fléchit pas, et il faudra un courage tenace et de grands moyens pour faire reculer l’exploitation de ces forêts.
Les forêts primaires tempérées et nordiques, on le sait, sont aussi menacées. Pour l’illustrer, une tranche de sapin de Douglas de la côte pacifique canadienne avait fait le voyage à Montréal.
Apportée par des autochtones habitant le nord de l’île de Vancouver, elle rappelait aux délégués internationaux le triste sort du pillage des dernières forêts primaires du Canada. La tranche de base, le cookie comme les bûcherons le surnomment, provient d’un sapin estimé à 750 ans, un arbre exceptionnel dans une forêt tout aussi exceptionnelle, victime d’une coupe à blanc. « Pour lui, c’est trop tard, est venue dire Ta’kaiya Blaney, membre de la Première nation Tia’amin, mais faites quelque chose pour les autres avant qu’il ne soit trop tard. »
Acte III : dénouement… ?
En résumé, une étape est franchie avec l’adoption – enfin ! – d’un cadre mondial de la biodiversité qui est cohérent et ambitieux. Chaque pays doit maintenant passer à la mise en œuvre dans un esprit de responsabilité et de transparence. Les médias soulignent souvent que la Convention sur la biodiversité n’est aucunement contraignante pour les pays signataires, mais ce n’est pas exact. Chaque pays a l’obligation de participer à un système de reddition de comptes et remplir des rapports réguliers sur ses progrès dans l’atteinte des cibles. La mobilisation de la société civile n’a aucune raison de relâcher sa vigilance.
Jean-Pierre Rogel,
9 décembre 2022 (Acte I) et 21 décembre 2022 (Actes II et III)