Ces derniers jours ont été lé théâtre d’un spectacle qui appelle à la plus extrême vigilance pour toutes celles et ceux que la situation des forêts européennes préoccupe. La Commission européenne venait à peine de produire à l’attention du Parlement européen, du Conseil Economique et social et du Comité des régions, un projet de « nouvelle stratégie forestière européenne post 2020 » que les foudres des lobbies forestiers s’abattaient sur ce texte et en demandaient la réécriture immédiate. Il faut dire que ce projet était marqué par des avancées en matière d’approche globale de la forêt largement envisagée sous l’angle premier de la biodiversité, avec en particulier des passages significatifs sur l’encadrement des coupes rases, les monocultures à décourager, de meilleures pratiques de gestion sylvicole, sur les forêts primaires et anciennes à protéger et restaurer etc. Bien sûr il y avait dans le texte des points de débats forts à mener selon nous sur une série de sujets (on pensera d’abord à la place à construire dans la réalité pour la libre évolution, à la protection stricte, à la renaissance de forêts primaires, mais aussi à des sujets comme le traitement des enjeux du changement climatique, le contenu même de la « multifonctionnalité », etc.).
Il est grave de constater que le ministre de l’agriculture français a cru bon de s’associer à la pression des lobbies forestiers en signant avec 10 pays européens une lettre demandant ni plus ni moins à l’Union européenne que la réécriture complète du texte. Au grand dam semble-t-il du Ministère de la Transition Ecologique.
Face à cette pression des lobbies forestiers et à l’attitude pour le moins ambiguë de la France, notre association a décidé de se joindre à un appel actant les avancées du texte européen et appelant « à une politique ambitieuse pour la forêt ». Cet appel a été signé par de nombreuses personnalités et acteurs très variés du monde de la forêt (hauts fonctionnaires, agents publics, chercheurs, forestiers, etc.) mais aussi des associations comme le WWF, la LPO, des représentants de Canopée, de nombreux acteurs locaux de protection de la nature, etc. Sans donner aucun blanc seing à la Commission, notre signature s’est voulue la manifestation de notre exigence de débat public sur un texte posant, de façon plus conforme aux exigences de l’heure, des orientations fondamentales pour les politiques forestières. Elle est également l’expression de notre volonté de dialogue avec toutes les parties prenantes de la question forestière pour autant que ce dialogue soit ouvert, constructif, et fondé non pas sur la rentabilité financière immédiate d’une « filière » (suicide évidemment assuré) mais sur la prise en compte sérieuse de ce qu’est aujourd’hui l’enjeu forestier à l’heure de l’effondrement de la biodiversité et du réchauffement climatique.
Cette mobilisation s’est révélée utile puisque finalement le texte officiellement publié le 16 juillet par l’Union Européenne reprend en le maintenant pour une grande part le texte d’origine. C’est un succès mais qui appelle vigilance. Les débats vont donc avoir lieu sur cette base et dans ces débats à venir, nous prendrons notre place.
Ces derniers jours ont été également pour nous l’occasion très positive de nous associer à une importante Déclaration des jardins botaniques royaux de KEW en Angleterre produite en ce mois de juillet 2021.
Les signataires y expriment leur « profonde inquiétude face à la perte incessante d’habitats forestiers naturels et à son impact dévastateur sur la biodiversité, le changement climatique, les moyens de subsistance des populations autochtones et la propagation des zoonoses. » Ils considèrent que « dans les biomes forestiers du monde (…) la protection et la restauration des écosystèmes forestiers naturels sont les formes les plus efficaces d’utilisation des terres forestières pour atteindre les objectifs combinés de réduction du carbone atmosphérique, de fourniture d’autres services éco-systémiques et de conservation et de rétablissement de la biodiversité. » Cette Déclaration très importante au niveau international formule une série de propositions que l’on peut lire ici : https://www.bgci.org/news-events/kew-declaration-reforestation-carbon-livelihoods/
On le voit encore plus nettement dans ce contexte de prises de positions multipliées, notre projet de renaissance d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest renvoie bien au cœur même des politiques environnementales qui se décident en ce moment. Pas seul bien sûr. Mais il invite à repenser complètement notre rapport à la forêt, à l’arbre, non plus seulement dans une pure et prioritaire vision économique mais dans une approche globale, articulant fondamentalement les échelles allant de la protection stricte effectivement réalisée dans ses objectifs à une sylviculture raisonnée.
C’est tout l’enjeu d’ailleurs de notre proposition d’Etats Généraux de l’arbre et de la forêt présentée il y a quelques mois au gouvernement français.
Alors que toutes les évaluations publiques montrent le retard pris par les Etats et les entreprises sur les objectifs concernant aussi bien le changement climatique que la biodiversité, notre projet concret est celui de la construction d’un bien commun européen, d’un lieu d’innovation, de recherche, de culture et de développement territorial conforme à l’urgence de la situation.
Comme partie prenante d’une nouvelle intelligence collective à construire autour des forêts, il a plus que jamais besoin, d’une forte mobilisation des citoyens aux côtés des scientifiques, des forestiers, des associations, de toutes les organisations publiques ou privées soucieuses de l’intérêt général.
C’est tout le sens de l’action de notre association. Nous avons besoin de vous, toujours plus nombreux, pour nous y aider.
Eric Fabre
Secrétaire général de l’association Francis Hallé pour la forêt primaire