Foire aux questions
Qu’est-ce qu’une forêt primaire ?
Une forêt est dite primaire lorsque ses dynamiques naturelles s’expriment dans leur plein potentiel, par opposition à une forêt secondaire, qui est une forêt qui a repoussé après une perturbation humaine forte, comme l’exploitation du bois ou le défrichement.
Une forêt primaire ne porte donc pas de trace de perturbations humaines, mais elle n’est pas une forêt « vierge » de tout être humain : que ce soit en Afrique, en Amérique ou en Asie, les populations humaines des forêts primaires tropicales n’ont jamais détruit celles-ci, ni modifié leur caractère primaire.
On qualifie ainsi de « primaire » une forêt qui n’a été ni exploitée ni défrichée par l’homme ; si elle l’a été dans le passé, un temps suffisant s’est écoulé pour que la forêt ait pu redevenir primaire. En zone tempérée marquée par les saisons, le processus est long : on compte environ 1000 ans si l’on part d’un sol nu, environ 800 ans en partant d’une forêt secondaire.
Ce n’est pas rapide à nos yeux d’êtres humains, car il faut plusieurs siècles pour qu’un retour à une naturalité totale puisse avoir lieu. Francis Hallé décrit la forêt primaire comme un maximum sur le plan écologique : maximum de captation et stockage du CO2 atmosphérique dans des troncs devenus énormes, le maximum de fertilité des sols, le maximum d’alimentation des nappes phréatiques par de l’eau pure, le maximum de résilience de la forêt… Et le plus important : le maximum de biodiversité.
Faire renaître une forêt primaire, c’est long ! À partir de quand verrons-nous les premiers effets ?
Nous aurons des observations à faire dès le début ! La première surprise, c’est que ça va aller très vite ! On ne s’attend pas à ça de la part d’une forêt, mais l’arrivée spontanée des arbres se fait à une allure plus rapide que ce que la plupart des gens imaginent. En fait, nous sommes soumis à une pluie de graines en permanence.
Sur les zones où il n’y a pas encore de forêt, il faudra d’abord laisser pousser les arbres pionniers – ce sont des graines qui ne peuvent germer qu’en pleine lumière. On va les laisser mourir et ils seront remplacés par des post-pionniers qui vivront 3 ou 4 siècles avant qu’arrivent les arbres de la forêt primaire, qui formeront la canopée fermée. On pense aux chênes ou aux hêtres dans nos forêts, mais avec le changement climatique ce sera peut-être des arbres qu’on n’observe pas pour l’instant en Europe. Au total, à partir d’un sol nu, l’ensemble du processus devrait prendre environ 10 siècles, moins si nous partons d’une forêt existante comme cela est envisagé.
Quant à la biodiversité, tout le monde se souvient des progrès de la biodiversité pendant le confinement… On sera surpris par la rapidité avec laquelle elle revient à son état d’abondance !
Où sera située la forêt primaire ?
Deux territoires sont actuellement envisagés par l’association pour le développement du projet : les Ardennes franco-belges et la région réunissant Vosges du Nord françaises et Rhénanie-Palatinat allemande. Ces deux territoires réunissent trois critères essentiels :
- un caractère transfrontalier, le projet étant fondamentalement européen, par son échelle, son caractère transgénérationnel et son rayonnement ;
- une tradition et une identité forestières fortes, avec des massifs déjà anciens ancrés dans la culture des habitantes et habitants, dans des zones de basse altitude où poussent naturellement des feuillus tempérés, partout menacés par le remplacement d’espèces considérées plus « productives » ;
- des forêts en majorité publiques, le projet ne visant pas l’achat de terres, mais bien la protection de forêts relevant déjà du domaine public : il est déjà reconnu d’intérêt général et s’inscrit pleinement dans cet objectif.
Naturellement, le contexte socio-économique des deux régions étudiées constitue un axe central pour le projet, qui contribuera à lui donner sa forme définitive : beaucoup de lignes sont encore à préciser avec les habitant·e·s concerné·e·s. L’association Francis Hallé pour la forêt primaire propose là aussi d’innover : le résultat final n’est pas donné à l’avance. Loin de parachuter un projet ficelé, le projet repose sur le dialogue et la co-construction. Il dote de temps et de moyens un large processus de concertation local, régional, national, européen, sans lequel rien n’est possible. L’exploration est un mot-clef de la démarche, au cœur de tous ses enjeux.
Comment comptez-vous acquérir l’espace nécessaire à la renaissance d’une forêt primaire ?
Il nous apparaît que la renaissance d’une forêt primaire, projet de grande ampleur sur le plan de sa surface et de sa durabilité, incombe d’abord à la responsabilité publique. L’ambition d’un tel projet, que nous avons d’emblée abordé dans sa dimension européenne, nécessite la collaboration de deux États dont la France. Notamment pour cette question d’ampleur, nous ne sommes pas dans une démarche d’achat de terrains.
Si notre initiative vise principalement le domaine public – environ ¼ des forêts françaises sont publiques – nous espérons également y associer des propriétaires et des gestionnaires forestiers privés qui seraient intéressés, puisque ce projet de territoire les concernera aussi. Toutefois, les deux terrains d’études que nous avons retenus, les Ardennes franco-belges et la région réunissant Vosges du Nord françaises et Rhénanie-Palatinat allemande se distinguent justement par une part importante des forêts publiques dans la composition des massifs, ce qui constitue une chance à nos yeux.
Que représentent 70 000 ha, la surface minimale nécessaire évoquée ?
70 000 hectares c’est l’équivalent de 7 fois Paris, ½ département, 1 carré de 26 km de côté, l’île de Minorque… C’est certes grand pour un projet de protection forte, mais cela reste modeste à l’égard de l’engagement qu’a pris la France lors du Congrès mondial de la Nature en 2021 de protéger 10 % du territoire en protection stricte. 70000 hectares, cela représente 0,14 % de la surface des forêts françaises métropolitaines ! C’est loin d’être démesuré.
Le projet Francis Hallé pour la forêt primaire est également en ligne avec l’objectif de la Décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes 2021-2030 : au moins 350 millions d’hectares d’écosystèmes restaurés d’ici 2030. Notre projet s’aligne sur les enjeux mondiaux qui font consensus. De plus, le nouveau cadre mondial pour la biodiversité, adopté lors de la COP15 de Kunming et Montréal, détermine des objectifs de 30% de restauration effective des écosystèmes dégradés et la protection de 30% des terres et mers mondiales.
Il faut toutefois apporter une précision ici : cette surface ne sera pas constituée d’un « bloc » de forme carrée, mais d’un ensemble plus large de zones cœur, en protection stricte et aux contours organiques, et de zones de transition, où de nouvelles pratiques économiques se verront régénérées par l’intégration à la nouvelle région écoforestière qui en émergera.
Pourquoi faut-il au minimum 70 000 ha ?
Cette surface est nécessaire pour que la grande faune forestière européenne puisse y vivre, de même que ses prédateurs sauvages, on pense notamment aux loups. Car n’oublions pas qu’une forêt est un système associant faune et flore (oiseaux, mammifères, insectes, etc.). À titre d’exemple, on estime qu’une surface de 60 000 hectares est nécessaire pour que deux meutes de loups puissent cohabiter. La grande surface est un critère essentiel et les études scientifiques montrent qu’une surface trop petite apporte moins de bénéfices, notamment en matière de biodiversité et de résilience par rapport aux aléas climatiques.
La forêt primaire sera-t-elle totalement fermée aux humains ?
Certainement pas. Contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là dans des propos souvent caricaturaux, nous ne voulons pas réaliser une « mise sous cloche ». Même s’il y aura des zones en protection stricte, il y a des équilibres à trouver et c’est précisément l’objet du programme de recherche que nous voulons mener avec l’ensemble des acteurs concernés sur le terrain. Le projet formule des axes de réflexion quant à un ensemble de sites, de dispositifs, d’activités liées aux secteurs du bois, de l’agriculture, du tourisme de nature, prenant en compte l’existant et la présence humaine sur le territoire, les pratiques sociales.
Rappelons-le : notre projet ne se pose pas en soi comme la solution globale aux problèmes de la planète. Il se veut une occasion tout à fait originale, concrète, très innovante de penser autour de la question majeure des forêts les réponses à apporter à la bonne échelle aux urgences grandissantes de la crise écologique.
En définitive, nous voulons contribuer à la construction d’ un rapport nouveau à cette nature dont nous sommes issus, avec les êtres humains et leurs activités.
Faudra-t-il déplacer des populations ?
Rappelons, comme nous l’avons souligné précédemment, que notre projet consiste avant tout à imaginer collectivement un rapport nouveau à la nature, incluant les humains et leurs activités.
Pour cette raison, nous avons envisagé pour cette recherche partagée des territoires qui d’une part répondent aux critères géographiques fixés pour la renaissance d’une forêt primaire – notamment en ce qu’ils disposent de massifs forestiers importants – et d’autre part qui verraient dans un tel projet des perspectives de développement intéressantes, notamment au niveau du tourisme de nature, de la recherche scientifique ou de la filière bois.
Dans cette logique, la participation des acteurs locaux de toutes natures à cette réflexion collective, informée, approfondie, construite dans le temps est un préalable essentiel à toute construction et concrétisation d’un tel projet. Rien d’établi à l’avance. Pas plus les déplacements de populations que les interdictions brutales ne sont à l’ordre du jour d’un projet qui, inscrit dans le temps long, veut inventer de nouvelles voies pour, au contraire d’aujourd’hui, stopper la dégradation en cours de l’état de ces forêts, de leur utilisation, de leur contribution indispensable à l’action contre les dérèglements écologiques.
Pourquoi ne pas déjà protéger les forêts existantes menacées ?
Les batailles sont évidemment complémentaires.
Nous sommes engagés au même titre que celles et ceux qui protègent les espaces forestiers existants (associations et / ou groupements forestiers) mais nous abordons la question dans une dimension différente – notamment en termes d’espace et de temps.
Pourquoi ne pas replanter ?
Notre philosophie consiste à se placer dans une approche résolument moins gestionnaire, moins interventionniste en somme. Cela vaut donc pour la replantation, dont les études montrent la bien moindre efficacité en tant que réponse efficiente aux enjeux urgents de la crise climatique et de biodiversité. Comme le souligne Francis Hallé, nous sommes sous une pluie de graines et la forêt n’a pas besoin de l’intervention humaine pour se développer spontanément.
En soutenant l’association Francis Hallé, vous agissez concrètement pour la renaissance d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest
Photo principale : Vue aérienne de la forêt des Vosges du Nord © Arnaud Hiltzer