Faire de la place au vivant, gagner des espaces importants à la protection forte, tout simplement mettre en œuvre de manière significative les politiques publiques visant à 10% d’aires en protection forte, c’est tout l’enjeu de notre projet associatif. Nous avons certes la spécificité de poser la question de la grande échelle. Mais cela ne s’oppose pas aux avancées possibles sur d’autres espaces de dimensions moindres mais visant le même objectif.
Sur ce plan un très beau cas se pose qui sera un test de la volonté publique d’avancer vraiment en ce sens : l’avenir des Réserves Biologiques Dirigées (RBD) créées pour protéger le Grand Tétras dans les Vosges. Cette espèce emblématique du massif est en train de disparaître et la tentative de réintroduction lancée par le PNR du Ballon des Vosges, malgré tous les efforts consentis, est aujourd’hui en très grande difficulté (sur 9 individus, d’origine norvégienne, réintroduits au moins 5 sont morts).
Pour beaucoup de spécialistes et d’associations naturalistes de la Région, la cause est entendue : le Grand Tétras, c’est fini dans les Vosges.
Les raisons de cette disparition sont multiples. Dans un article de l’excellente revue Naturalité (N° 29 – Novembre 2024) Jean Poirot, forestier et naturaliste, note que
« toutes les études menées sur le Grand Tétras, tant en France qu’à l’étranger, montrent que l’évolution de la qualité des habitats est le facteur principal pour expliquer les variations d’effectifs de l’espèce à moyen ou long terme. »
Dans les Vosges, ajoute-t-il,
« il a notamment été démontré que l’oiseau était inféodé aux peuplements âgés (plus de 120 ans), dont la structure, généralement entr’ouverte et diversifiée, est de loin la plus favorable à l’espèce. Au cours du XXe siècle, à la suite de l’intensification de la sylviculture en lien notamment avec une extension tous azimuts des routes forestières, cette phase de sénescence a quasiment disparu du massif. »
A cela s’ajoutent les dérèglements climatiques, la pression anthropique (dérangements humains, prédation, collisions, etc.).
Un bien pour un mal, des associations comme Lorraine Nature Environnement, Vosges Nature Environnement, beaucoup de naturalistes et de scientifiques, relèvent que cette disparition peut être l’occasion d’une initiative positive : mettre en libre évolution des forêts actuellement en réserves biologiques initialement dirigées vers le maintien du Tétras, en requalifiant les RBD (Réserves Biologiques Dirigées) Grand Tétras, « sans Grand Tétras », en RBI (Réserve Biologique Intégrale) ou a minima en Réserve Biologique Mixte.
En effet note, Jean Poirot dans son article, l’héritage le plus conséquent laissé par le Grand Tétras sur le massif en termes de naturalité « est la constitution d’un réseau significatif de réserves biologiques. Elles totalisent 8 588 ha (2 % des forêts du massif) et concernent sept départements. Sur ce total, plus de 7 000 ha sont classés en RBD dédiées à la protection de l’espèce. »
Leur requalification en RBI renforcerait la présence de ces espaces de très grande qualité dont nous manquons tellement aujourd’hui. Et il y a urgence. Les plans de gestions des 4 réserves les plus vastes sont en cours de révision par l’ONF :
- RBD du Grossmann (1568 ha)
- RBD de Rambervillers-Autrey (820 ha)
- RBD de Haute-Meurthe (710 ha) :
- RBD de Housseramont-Noirupt (470 ha)
Nous ne saurions trop soutenir cette proposition qui, sans être à la dimension de notre projet associatif qui travaille la question spécifique de la grande échelle, répondrait pleinement aux enjeux d’amélioration de la biodiversité globale d’une partie des écosystèmes forestiers vosgiens par une mesure de protection forte.
Comme le disait le photographe Vincent Munier en soutenant cette proposition dans un billet récent de son blog : « Alors, retrouvons enfin la raison ! »
Retrouvez également notre article consacré au Grand tétras :
Photo de couverture : Tetrao urogallus © Julien Arbez