Stéphane Foucart a publié (Le Monde du 25-26 octobre 2020) une chronique intitulée « La certitude de pouvoir protéger le monde d’une main est comprise comme un blanc-seing accordé à l’autre pour continuer à le détruire », où il met en garde contre le risque qu’entraînerait – si elle se concrétise lors de la COP-biodiversité en 2021 – la proposition française de placer sous protection 30 % des espaces terrestres et marins.
Quel est ce risque ? Je laisse la parole à l’auteur : « Il est lié, non au projet lui-même, mais à la manière dont il peut être interprété par la société, les responsables politiques et les capitaines d’industrie. De bonne foi ou non, ce genre d’initiative peut être perçu comme un mécanisme compensatoire : une part importante de la planète pouvant être protégée de nos activités, il serait inutile de transformer nos modes de production et de consommation. La certitude de pouvoir protéger le monde d’une main est facilement comprise comme un blanc-seing accordé à l’autre pour continuer à le détruire ».
C’est important et cela m’inspire plusieurs commentaires.
D’abord, je tiens à le dire clairement, ce texte est réaliste ; j’ai constaté, par exemple à Sumatra et au Gabon, que la mise en place d’une aire protégée s’accompagnait, dans les années qui suivent, de l’exploitation ou de la dégradation de la zone environnante, en application de cet aphorisme : « Si vous protégez ce qui est dedans, vous ne pouvez pas en même temps protéger ce qui est dehors ».
En outre, je ne crois pas raisonnable d’imaginer que de ne rien protéger serait une attitude plus efficace en termes de protection.
Enfin, étant président d’une association qui souhaite la renaissance d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest, je me sens concerné par la mise en garde de Stéphane Foucart ; je ne voudrais pas que notre forêt s’entoure de zones exploitées ou dégradées.
Est-ce suffisant pour considérer comme il l’écrit que le projet d’accroître la part des espaces protégés sur la planète est « une idée du XIXe siècle » au sens où elle serait périmée ? Je ne le pense pas. Il est au contraire indispensable, comme notre projet en a par exemple l’ambition en l’Europe de l’Ouest, de créer les conditions pour que des espaces naturels par leur développement propre fassent ce qu’ils sont les plus aptes à faire : produire de la biodiversité, garantir des ressources hydriques de qualité, capter du CO2. Faire renaître de vraies forêts sur le temps long de la nature est d’abord une affaire de la nature elle-même. Nous ne savons pas faire. C’est donc un enjeu d’intérêt général majeur pour l’ensemble du vivant.
Qu’il y ait à de telles initiatives des envers de toutes sortes n’échappe à personne. S’il existait des projets absolument dénués de tous risques cela se saurait. Il ne convient donc pas à mes yeux d’opposer à des initiatives que je crois indispensables les dangers possibles qui entourent leur développement. A ce compte là on se paralyserait très vite.
Certes, rendons-nous à l’évidence : nos sociétés actuelles n’ont pas un profond respect pour la forêt et, si le choix se présente, elles préfèreront toujours les bénéfices qu’elles peuvent, sans souci de l’avenir, retirer de son exploitation et de sa destruction.
Que faire ? Pour changer durablement nos sociétés dans leurs rapports à la nature, je suis profondément convaincu que l’éducation des enfants est primordiale, en commençant par les plus jeunes ; plutôt que de les habituer à la compétition qu’implique le système des notes, développons chez eux le goût de la coopération et le respect de la nature. Il me semble que les programmes pédagogiques actuels en sont fort éloignés et que beaucoup d’enseignants apprécieraient un retour vers l’empathie et l’hommage à la vie.
Quant aux enfants eux-mêmes, il est facile de constater que la nature les passionne et que sa protection les motive.
Francis Hallé, Montpellier, novembre 2020
Photo : Bernard Boisson