Les Echos publient le 27 juillet 2020 une tribune intitulée « Une forêt cultivée est une forêt en bonne santé » cosignée par Vincent Lefort, président du Syndicat des Mérandiers de France, et Jean-Luc Sylvain, président de la fédération des Tonneliers de France. De mon point de vue, cette tribune contient des inexactitudes et même des contrevérités, ce qui m’incite à produire cette mise au point critique.
Mais d’abord je tiens à assurer aux deux co-auteurs que les Mérandiers et les Tonneliers ont toute ma sympathie ; il ne me serait jamais venu à l’esprit, ni de trouver honteuse l’utilisation du bois de chêne pour fabriquer des tonneaux, ni de considérer que l’élevage des grands vins ne servirait qu’à satisfaire des plaisirs futiles. Ce sont des traits de civilisation constitutifs d’un patrimoine culturel qui mérite le plus grand respect. Mes critiques porteront sur des aspects relatifs aux arbres et aux forêts elles-mêmes.
Il est erroné de dire « qu’un arbre mature ne grandit plus » car, tant qu’il est vivant, un arbre ne cesse jamais de grandir, sauf en hiver bien sûr ; c’est vrai, un arbre vieillissant a des points de croissance – les botanistes les nomment « méristèmes » – moins actifs que ceux d’un arbre jeune et la croissance annuelle de chacun d’entre eux est donc plus faible mais, en contrepartie, le nombre de ces points de croissance ne cesse d’augmenter pendant toute la vie de l’arbre.
D’accord, le jeune arbre « piège [le carbone] dans son bois » mais ce n’est qu’un aspect de la question et il importe de considérer aussi ses performances dans le stockage du carbone à long terme, et là apparaissent des évidences : plus l’arbre a de bois plus son stock de carbone est grand et plus l’arbre est âgé plus il a de bois.
« La forêt tricolore a plus que doublé depuis la Révolution française ». Cette assertion n’est valable que si l’on confond les plantations d’arbres avec des forêts, mais c’est là un contresens biologique contre lequel je m’élève (voir ma tribune dans les pages Idées du journal Le Monde, à paraître le samedi 8 août 2020).
Je regrette de lire que « l’opinion publique […] conçoit avant tout la forêt comme un espace de loisir » ; je fréquente le public et j’atteste que ses idées progressent : la forêt est maintenant comprise à la fois comme épuratrice de l’atmosphère, restauratrice de la fertilité des sols et fondatrice de la biodiversité terrestre.
Je ne peux laisser dire sans protester qu’« une forêt en libre évolution contribue dans une bien moindre mesure à la lutte contre le réchauffement, à plus forte raison lorsqu’elle finit par donner le triste spectacle d’un cimetière d’arbres ».
Laissée en libre évolution, lentement mais sûrement, une forêt devient primaire ; parmi les caractères de ce type de végétation, il y a le fait qu’elle stocke davantage de carbone qu’une forêt jeune. Comment un gros stock pourrait-il être moins efficace qu’un petit dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
Enfin, ne voir qu’un cimetière d’arbres dans une forêt ancienne, alors que le bois mort est l’élément idéal pour conserver et accroître la biodiversité, ainsi que pour restituer au sol sa fertilité, c’est la preuve que l’écologie forestière n’a guère intéressé les co-auteurs. S’ils n’ont vu dans la forêt primaire qu’un « triste spectacle », alors qu’elle est la plus belle de toutes les forêts et qu’elle représente l’un des sommets de notre esthétique planétaire, je ne peux formuler qu’une conclusion.
Si vous me demandez de fabriquer un tonneau, cela me coûtera de grands efforts pour un résultat déplorable et mon tonneau raté fuira de partout.
Vive votre travail de Mérandiers et de Tonneliers, vous avez entre les mains un savoir-faire irremplaçable et que le monde entier nous envie, n’hésitez pas à utiliser nos chênes mais, de grâce, ne parlez plus de forêts.
Francis Hallé, Montpellier, 5 août 2020
Pour en savoir plus :
- Jean-Claude Génot : La nature malade de la gestion. Editions Hesse, 2020.
- foretprimaire-francishalle.org