Alain Persuy est forestier et naturaliste. Son ouvrage Sauvez les forêts ! Petit manuel de résistance citoyenne, paru cette année aux éditions Double ponctuation, est un texte militant et une véritable trousse à outils pour qui aime les forêts et souhaite agir en leur faveur.
Pour sauver la forêt, il faut commencer par la comprendre. C’est en suivant cette maxime que l’auteur, également enseignant en gestion forestière, nous propose les trois parties de son texte clair et accessible à tous.
« Qu’est-ce qu’une forêt ? Connaître pour mieux protéger »
Tout commence par un constat dramatique : notre définition officielle de la forêt mène celle-ci à sa perte. L’auteur rappelle que la Food and Agriculture Organisation (FAO), organisme des Nations Unies, définit les forêts comme « des terres occupant une superficie de plus d’un demi-hectare, avec des arbres atteignant une hauteur supérieure à cinq mètres et un couvert forestier de plus de dix pour cent, ou avec des arbres capables d’atteindre ces seuils in situ… », et met en exergue les dérives permises par ce cadre, citant une lettre ouverte du World Reforest Movement qui, dès 1986, alerte : « [par cette définition] la FAO a fortement encouragé la création de plantations industrielles d’arbres de nombreuses espèces exotiques sur des millions d’hectares […] ».
L’auteur propose de rejoindre plutôt la définition de Jean Hegland :
« Forêt : communauté écologique, étendue et complexe, dominée par les arbres et capable d’assurer sa perpétuation. »
Définitions, mais également chiffres permettent de donner au lecteur une conscience nette des enjeux. Ainsi, dans ce qui est compté comme « forêt » en France métropolitaine et qui couvre 16,8 millions d’hectares, soit 30% du territoire, on trouve 50% de peuplement mono-spécifique et seulement 4% de forêt possédant au moins quatre essences principales.
L’auteur n’hésite pas à sortir de la réserve attendue des scientifiques pour commenter avec fougue les constats énoncés, donnant à son ouvrage un tour véritablement militant :
« […] les sources de destruction de la forêt en tant qu’écosystème peuvent se regrouper sous une seule dénomination : la course cynique, effrénée, aveugle, au profit, toujours plus, le plus vite possible. Qu’importent le climat, les peuples, la beauté du monde vivant, l’avenir des générations futures, pourvu que l’on fasse du profit, que l’on agrandisse la cagnotte, que l’on booste le chiffre d’affaires ! »
« Les menaces qui pèsent sur les forêts »
Dans cette partie, Alain Persuy liste les différents acteurs de la filière forestière, ainsi que les écueils qui empêchent une bonne gestion des forêts. Il pointe du doigt ce qui constitue le nœud du problème à ses yeux :
« D’une manière générale, il faut dire quand même que l’exploitation forestière en Europe est bien encadrée : les codes forestiers sont particulièrement étoffés et croisent parfois ceux de l’environnement. Les problèmes concernent en fait la pratique même de la sylviculture, les conceptions divergentes de ce qu’est une forêt, les rapports de force entre industriels, forestiers productivistes et forestiers qui se qualifient eux-mêmes de résistants, ONG et pouvoirs politiques. »
Il évoque également « le faux-nez de la transition écologique » et du plan national Forêt-Bois 2016-2026 qui, selon lui, donne des résultats inverses à ce qui est présenté : industrialisation et abatteuses au lieu de bûcherons, « ligniculture » au lieu de sylviculture, abattage de forêts de feuillus (chênes centenaires transformés en bois énergie) à pousse lente pour replanter des résineux à pousse rapide, propulsion du bois-énergie alors que la combustion de bois est plus toxique que charbon, le gaz ou le fioul, (les usines de Gardanne et d’Angleterre font venir du bois du Brésil et des Etats-Unis, participant à la surexploitation des forêts), pendant que le GIEC affirme que la forêt gérée industriellement ne peut pas atteindre des objectifs fixés de réduction d’émissions de CO2…
Dans ce « manuel de résistance citoyenne », on trouve aussi de nombreuses billes, références et liens internet à l’appui, pour contrer les arguments de tenants de l’industrialisation forestière. Par exemple, la thèse (fausse) selon laquelle les forêts anciennes sont neutres en carbone et que donc seules les jeunes forêts (autrement dit, les plantations) sont efficaces pour le stockage de CO2 : cette affirmation datant de 1960 est contrée en 2015… mais toujours utilisée dans les débats !
Et l’auteur de rappeler que pour véritablement stocker du carbone en forêt, il faut laisser vieillir les peuplements, conserver la biodiversité naturelle, privilégier les feuillus indigènes au lieu de plantations arrosées d’engrais, bref faire le contraire que ce qui est fait dans la filière industrielle !
« Comment protéger concrètement les forêts ?
La dernière partie de l’ouvrage est un mode d’emploi pour citoyen souhaitant s’engager dans la défense forestière. Depuis la sensibilisation de l’entourage jusqu’à l’achat de parcelles forestières et le soutien aux associations, il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses. Là encore, noms, adresses, conseils pratiques pullulent.
Et de conclure :
Dans le paysage des publications sur la forêt, cet ouvrage se distingue par son côté très pratique, donnant les clés essentielles et des pistes concrètes à ceux qui souhaitent agir pour la forêt.
Il affirme avec force que la forêt n’est pas l’affaire de quelques-uns – gouvernants, industriels, grands propriétaires forestiers – mais de chacun d’entre nous. Une vision que notre association ne peut que partager !
Felice OLIVESI
Juin 2022
Références
- Alain PERSUY, Sauvez les forêts ! Petit manuel de résistance citoyenne, Double ponctuation, coll. point d’exclamation, 2022, 150 p.
- Jean Hegland, Dans la forêt, ed. Gallmeister, Paris 2017